Le roman à la première personne - Coup de pouce

Modifié par Lucieniobey

Au XVIIe siècle, le roman est considéré comme un genre mineur, le grand genre étant le théâtre, et plus particulièrement la tragédie. Cela permet au roman de se développer de manière plus libre. Au XVIIIe siècle, parmi divers genres de romans, celui des mémoires connait un grand succès. C'est dans ce genre que s'inscrit Manon Lescaut. Les mémoires se rapprochent de l’autobiographie par l'usage de la première personne, mais elles mettent en scène des personnages importants ou historiques et relatent des moments de vie où les personnages ont joué un rôle sur le plan politique, historique, social ou sociétal. Dans le cas des Mémoires d’un homme de qualité, il s’agit de mémoires fictives. Elles ne correspondent donc pas réellement à l’autobiographie telle que nous l’entendons aujourd’hui, qui se définit comme un récit rétrospectif, retraçant l’ensemble de l’existence dès l’enfance et proposant un pacte au lecteur qui lui garantit la sincérité de l'auteur. Ce genre naît réellement au XVIIIe avec Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau.

Manon Lescaut se situe au confluent de plusieurs types de romans : il s’apparente au roman d’aventures, de mœurs, au roman sensible, libertin, picaresque et moral.

Un roman d’aventures est une œuvre donnant à voir une intrigue qui multiplie les péripéties, les rebondissements et l’action. Manon Lescaut s’apparente à ce genre lorsque Des Grieux s’évade de Saint-Lazare en tuant un gardien, lorsqu’il fait s’évader Manon de l’Hôpital et lorsqu’ils s’introduisent chez le fils de M. de G... M...

Il s’apparente au roman de mœurs, qui dépeint la société de son temps de manière réaliste. Il décrit notamment la vie parisienne de la haute société de l’époque, en évoquant la fréquentation de la Comédie, les cercles de jeux et le comportement des grands seigneurs. Ceux-ci profitent de la faiblesse des jeunes femmes appartenant au peuple, qui se voient réduites à vendre leurs charmes pour avoir une vie confortable.

Par certains aspects, il est proche du roman sensible notamment avec la peinture détaillée des sentiments éprouvés par les personnages et le choix de la tonalité pathétique pour en souligner les excès et susciter l’émotion du lecteur. Le personnage de Des Grieux correspond au stéréotype du jeune homme naïf, follement épris d’une jeune femme. Cela est visible dès la rencontre dont les suites tragiques sont suggérées, lors de leur séparation après la première trahison de Manon, lors des retrouvailles à Saint-Sulpice et lors de la fuite des deux amants dans le désert et de la mort de la jeune femme.

Il se rattache au roman libertin car il met en scène des personnages immoraux et qui cherchent à pervertir les autres, comme c’est le cas de Lescaut qui engage Des Grieux à profiter des charmes de Manon pour assurer leur quotidien à tous les deux, lui apprend à tricher au jeu et fréquente des milieux sociaux douteux, ce qui lui vaut de mourir assassiné. Manon peut être vue comme un personnage libertin par son goût pour le plaisir et son comportement immoral lorsqu’elle vend ses charmes, mais elle apparaît aussi comme sensible et amoureuse une fois Paris quitté, lorsqu’elle mène une vie simple aux Amériques avec le chevalier.

Il est possible de rattacher Manon Lescaut au genre du roman picaresque, c'est-à-dire un roman qui met en scène un « piccaro », un personnage de basse extraction et qui va s’élever dans la société tout en passant par tous les milieux sociaux. Cela peut-être également un personnage plus noble mais qui a été élevé dans un milieu inférieur, par exemple un enfant élevé par des brigands. Ainsi, l’ensemble de la société est représenté. Cette veine picaresque est présente dans Manon Lescaut puisque nous avons accès au milieu aisé qu’est la noblesse à travers le personnage de Des Grieux et de sa famille (intervention de son père et de son frère pour le ramener à la raison, intervention de son père pour le faire sortir de prison) mais aussi des différents riches amants de Manon comme M. de G… M... et son fils, ainsi que le prince italien. Des milieux plus marginaux sont également représentés avec Lescaut qui se présente comme un escroc, un tricheur qui vit de ses exactions. Des personnages vont aussi s’associer à des univers plus populaires en lien avec des lieux où se concentre la misère : Saint-Lazare, L’Hôpital, le Châtelet…

Enfin, Manon Lescaut est donné à lire par son auteur comme un roman moral car la peinture des passions et de leurs conséquences doit permettre au lecteur de s’élever moralement et de ne pas être tenté de se laisser aller à des sentiments excessifs. C’est pourquoi il est possible de le lire comme une leçon où la mort de Manon et le désespoir de Des Grieux sont des punitions qui viennent sanctionner le fait de s’être laissé dominer par ses passions. Des Grieux est donc condamné pour n’avoir écouté ni sa raison, ni ceux qui ont tenté de le ramener à celle-ci, qu’ils incarnent la sagesse comme Tiberge ou les valeurs attachées à son milieu social comme sa famille et en particulier son père. La mort de Lescaut confirme cette dimension morale car il est tué en représailles de ses mauvaises actions et parce qu’il fréquente des bandits.

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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